Humeurs

vendredi 18 mai 2012

La pieuvre: Corps coulant.

Forme flasque, baveuse, la pieuvre nous glisse des mains.
Composée d'aucun os elle peut se mouvoir sans entrave, bravant toute logique elle peut se rétracter et s'épanouir à volonté. Elle s'étire de tout son long, se vantant de sa chair élastique.
Sa peau mousseuse et visqueuse est une évocation au muqueux, la pieuvre est comme un organe que l'on aurait retroussé. Vulnérable et délicate, elle semble voir son intimité exposée aux yeux de tous. C'est ce qui rend sa manipulation si troublante. L'organe retroussé fait écho à notre impossibilité à nous figurer de l'intérieur. Toucher sa peau mousseuse c'est frôler de ses doigts sa propre intimité.
Forme fuyante, légère, aérienne en milieux aqueux, elle se vautre lourdement sur le sol une fois isolée de son élément.
La pieuvre est un être d'eau, elle appartient au transitoire et aux vertiges. C'est un être replié sur soi même, ses huit bras sont fixés tout autour de sa bouche semblant vouloir diriger inévitablement notre regard en son centre. Son corps même s'organise autour de l'arrogant orifice duquel un bec, noir et dur, s'avance et s'enfonce dans ce corps mou. Comme une tête branchée à deux bras, l'ensemble des organes échappe à une quelconque logique.
Avec sa très faible espérance de vie, l'animal semble enclin à la petite mort. Comme en parle Gaston Bachelard: " La mort quotidienne n'est pas la mort exubérante du feu qui perce le ciel de ses flèches, la mort quotidienne est la mort de l'eau. L'eau coule toujours, l'eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. (...) La peine de l'eau est infinie."

Imaginons alors un seul accroc, un corail, un rochet et c'est l'enveloppe qui est percée, laissant s'écouler la chair molle et le sang flasque. Avec le corps mou, c'est toute une palette de couleur qui s'étale et se diffuse dans l'eau: du bleu, du rouge et du violet. Le corps perdrait alors toute teneur, toute intégrité physique, et une fois la poche percée le corps solide laisserait place au corps liquéfié puis au corps dissous.